Récemment, j'ai eu une longue discussion très stimulante avec une jeune doctorante en sciences, abordant un sujet particulièrement sensible : le rapport entre la vérité scientifique et les croyances alternatives, notamment à travers l'exemple emblématique de l'homéopathie.
Cette jeune scientifique affirmait avec conviction la nécessité absolue de défendre la rigueur scientifique, particulièrement aujourd'hui où les pseudo-sciences fleurissent et prolifèrent, mettant en péril l'intégrité même de la démarche scientifique. Elle insistait particulièrement sur l'homéopathie, une pratique largement répandue mais dont l'efficacité n'a jamais été démontrée scientifiquement selon les protocoles standards rigoureux de la médecine moderne.
Je suis entièrement d'accord avec elle sur ce point précis : aucune expérimentation scientifique contrôlée n'a jamais permis de démontrer, au-delà d'un effet placebo, l'efficacité objective des granules homéopathiques. Pour autant, en tant que philosophe et ayant eu la chance d'enseigner pendant un an l'histoire de l'homéopathie en cinquième année de pharmacie, j'ai pu mesurer la complexité de cette question.
L'homéopathie trouve ses racines dans la très ancienne « médecine des semblables », une idée déjà présente à l'époque d'Hippocrate. Cette approche était opposée à la « médecine des contraires », ou allopathie, devenue aujourd'hui la norme médicale dominante. Au XIXe siècle, Samuel Hahnemann, médecin allemand curieux et intuitif, redécouvre cette idée de manière fortuite. En prenant un apéritif à base de quinquina, une plante riche en quinine utilisée historiquement pour guérir les fièvres tierces (paludisme), préparé par sa femme, il remarque qu'il développe des symptômes similaires à ceux du paludisme, maladie dont il avait souffert dans sa jeunesse. Fasciné par ce paradoxe, il se demande comment une substance capable de traiter une maladie pourrait aussi induire ses symptômes. C'est ainsi que naît l'homéopathie moderne.
D'ailleurs, l'histoire du quinquina est intéressante : c'est la quinine, présente naturellement dans son écorce, qui permet de guérir les fièvres tierces (le paludisme). À l'époque, les fièvres tierces étaient fréquentes, notamment dans les régions marécageuses en Europe, où l'air humide favorisait la prolifération des moustiques vecteurs de la maladie. C'est en observant les propriétés curatives des plantes poussant dans ces milieux humides que l'on découvrit aussi plus tard l'aspirine. Son histoire est tout aussi fascinante : issue de l'acide salicylique, elle provient de deux sources végétales principales. D'une part, le saule, qui pousse naturellement les pieds dans l’eau, et dont l’écorce contient cet acide aux propriétés fébrifuges. D’autre part, la spirée, aussi appelée reine des prés, qui a donné son nom à l’aspirine : "A" pour acétyl (en référence à l'acide acétylsalicylique) et "spirine" en hommage à la spirée.
Notre débat avec la doctorante, influencée notamment par un ami zététicien spécialiste des méthodes scientifiques rigoureuses, s'est ensuite concentré sur les récentes décisions politiques concernant le remboursement de l'homéopathie. Si, d'un point de vue purement scientifique et moral, il semble logique de ne pas rembourser un produit dont l'efficacité thérapeutique est jugée non prouvée, il est essentiel d'analyser les conséquences pratiques et sociales de cette décision.
Avant son déremboursement, l'homéopathie était largement utilisée par de nombreux patients pour traiter des troubles légers comme des difficultés d'endormissement ou des angoisses modérées. Ces granules, peu coûteuses et rassurantes grâce à leur rituel spécifique, offraient une alternative sans risque notable.
Le déremboursement pousse aujourd'hui ces patients vers des médicaments allopathiques bien plus puissants, comme les benzodiazépines, entraînant des dépendances, des effets secondaires importants, et augmentant considérablement les coûts pour notre système de santé.
J'ai également évoqué Jacques Benveniste, un scientifique remarquable qui tenta de prouver la controversée théorie de la « mémoire de l'eau ». Malgré ses efforts, il ne parvint jamais à la démontrer. Sa théorie fut rejetée par la communauté scientifique, mais je reste convaincu qu'elle représente un exemple précieux d'intuition scientifique audacieuse qui, peut-être, sera revisitée un jour avec succès.
Enfin, j'insiste sur une différence cruciale entre la vérité scientifique et la vérité philosophique. La science construit des vérités expérimentales temporaires, soumises à révision permanente. À l'inverse, la philosophie aborde des vérités métaphysiques transcendantes, telles que l'amour, la mort ou l'existence, que la science ne pourra jamais totalement saisir ou quantifier. La vérité philosophique relève d'une réflexion abstraite et intuitive, capable de saisir l'essence profonde des réalités humaines fondamentales.
C'est précisément en reconnaissant ces distinctions essentielles que nous pouvons maintenir un équilibre fertile entre rigueur scientifique et ouverture philosophique. Il faut préserver cette humilité intellectuelle indispensable à l'avancement authentique des connaissances, tout en acceptant avec respect et prudence les intuitions audacieuses, même lorsque celles-ci ne sont pas immédiatement prouvées.