Par Didier Buffet - Essayiste, observateur engagé de la vie politique réunionnaise

La République a rendez-vous avec elle-même ce mercredi 21 mai, non pas à Saint-Denis ou à Sainte-Suzanne, mais à Paris, dans un tribunal correctionnel. Onze personnes sont appelées à comparaître dans l’affaire du trucage présumé des marchés publics du Sidélec, syndicat intercommunal en charge de l’électrification des zones rurales à La Réunion.

Parmi elles, Maurice Gironcel, maire de Sainte-Suzanne, président du Sidélec, figure historique d’une gauche locale qui semble avoir perdu jusqu’au souvenir de ses idéaux. Avant toute chose je dois dire que toutes ces personnes sont pour le moment présumées innocentes.

Nous allons attendre bien évidemment les attendus. Donc mes propos partent du principe que les soupçons sont fondées sur une culpabilité. Mais malheureusement nous sommes habitués à un monde politique réunionnais dans lequel les affaires et les condamnations d'éligibilité sont quand même multiples à droite comme à gauche. L’enquête menée par le Parquet national financier est sévère : ententes illicites entre entreprises, prix artificiellement gonflés, marchés verrouillés, et, en toile de fond, corruption passive d’agents publics. Plusieurs entreprises ont déjà plaidé coupable. Des peines financières lourdes ont été prononcées.

Et ce qui émerge de ce dossier, ce n’est pas un simple dysfonctionnement administratif : c’est un système structuré, verrouillé, opaque, au détriment des contribuables réunionnais et français.Une gauche défiguréeCe qui rend cette affaire particulièrement insupportable, c’est qu’elle implique des acteurs politiques se réclamant d’un courant historique fondé sur la justice sociale, la défense des faibles, la dénonciation de la vie chère et des héritages coloniaux. Mais à force de réciter Debré et les enfants de la Creuse comme des mantras, on en oublie d’examiner ses propres pratiques. L’anticapitalisme proclamé masque mal les arrangements entre amis, les copinages intercommunaux, les réseaux de favoritisme, parfois transpartisans, souvent mafieux.

Et voilà que la dernière couche de vernis républicain s’écaille, avec l’arrestation de Bertrand De Boisvilliers, directeur de cabinet du maire Gironcel, interpellé dans une affaire de trafic de stupéfiants entre La Réunion et Maurice. Ce haut fonctionnaire local, gestionnaire central de la mairie, aurait utilisé son bateau de pêche pour convoyer du zamal en mer et aurait même tenté de faire effacer des images de vidéosurveillance compromettantes.La République n’a pas seulement reculé : elle a été trahie par ceux qui prétendaient parler en son nom.Une île gangrenée par les réseauxLa Réunion vit sous l’emprise de réseaux – politiques, associatifs, maçonniques, familiaux – qui s’entrecroisent, s’alimentent et s’auto-protègent.

Loges, Rotary, intercommunalités, SEM, associations culturelles ou sportives servent parfois, non à faire vivre la société civile, mais à verrouiller l’accès aux marchés publics, aux subventions, aux emplois. La vie publique s’étiole, et avec elle, la confiance des citoyens.Or la population réunionnaise mérite mieux. Elle mérite des élus au service de l’intérêt général, non des gestionnaires de systèmes opaques. Elle mérite des agents publics exemplaires, non des petits parrains amateurs. Elle mérite des perspectives, pas des combines.Le crépuscule d’un PartiPour comprendre le naufrage actuel, il faut se tourner vers le déclin du Parti Communiste Réunionnais (PCR).

Ce parti, naguère incarnation d’une ambition populaire, est aujourd’hui une coquille vide. Maurice Gironcel n’est pas l’héritier de Paul Vergès. Il n’en a ni l’envergure, ni la vision. Il n’a hérité que d’un trône en ruine, d’une interco à piloter à vue, et d’un réseau clientéliste à bout de souffle.Après Paul, ce fut la dispersion : Claude Hoarau fonde le Mouvement Populaire, Huguette Bello crée le PLR, Jean-Piot monte le MCR, Élie tente de sauver les meubles. Même LFI a récupéré les restes, en accueillant un temps Jean-Hugues Ratenon, plus intéressé par le populisme médiatique que par la rigueur idéologique. Le PCR, lui, n’existe plus dans la mémoire collective.

Ce qu’il en reste n’est qu’une étiquette sans substance, un sigle décoloré.La République trahie, mais encore possibleIl serait facile, mais injuste, de généraliser. Car à La Réunion, il y a des élus courageux, des fonctionnaires droits, des citoyens engagés. Il y a des femmes et des hommes qui, chaque jour, font vivre l’hôpital, l’école, la justice, les solidarités de quartier.

Ce sont eux, la vraie République. Et ce sont eux qu’il faut protéger, soutenir, renforcer.Mais cela suppose une volonté claire : faire le ménage. Pas avec cynisme, mais avec fermeté. L’État ne peut plus détourner les yeux. Il faut des audits, des enquêtes, des contrôles croisés, des suspensions immédiates, et là où c’est nécessaire, des dissolutions de structures parasitées.

Il faut envoyer un signal clair : La Réunion n’est pas une zone grise.Et à ceux que la République empêche de prospérer tranquillement dans l’illégalité, le népotisme ou le trafic, à ceux que la légalité gêne : qu’ils s’en aillent. Qu’ils quittent la France. Qu’ils se débrouillent seuls. Mais qu’ils laissent les Réunionnais tranquilles.Car ce peuple digne, fier, souvent trahi, mérite bien mieux qu’eux.