Une figure familière de Cap Méchant

Élise Collet, affectueusement surnommée par certains « la folle du Cap Méchant », faisait partie intégrante du paysage de Saint-Philippe, au sud de La Réunion.

Pendant des décennies, sa frêle silhouette arpentait inlassablement les falaises du Cap Méchant, près du petit restaurant du même nom, adressant à qui voulait l'entendre des paroles aussi passionnées qu'énigmatiques. Les visiteurs la voyaient souvent surgir, protégée du soleil par son parapluie, pour prêcher ce qu'elle appelait « la bonne parole ».

Elle interpellait les passants sur leur foi, évoquant sans détour Lucifer, le salut ou les travers de l'Église, comme si chaque instant du quotidien cachait un combat entre le bien et le mal.

Cette présence mystique et imprévisible a d'abord intrigué et parfois effrayé : il n'était pas rare que des enfants, et même des adultes, prennent peur en la voyant, certains allant jusqu'à la comparer à une apparition fantomatique tant elle « hantait » le site du Cap Méchant du matin au soir.

Pourtant, peu à peu, les sourires ont remplacé la crainte. Les habitués et commerçants locaux ont appris à connaître cette dame au regard doux qui ne cherchait qu'à partager son message. « Elle venait prêcher la bonne parole, c'était quelqu'un de normal, une personne adorable », témoigne une employée du restaurant du Cap Méchant, qui la voyait chaque jour.

Beaucoup de Réunionnais avaient fini par la considérer comme partie prenante de la communauté de Saint-Philippe, au point qu'elle figurait même dans certains guides touristiques comme une « curiosité » locale à ne pas manquer.

Derrière le surnom, un passé tragique

Si Élise Collet était connue de tous, c'est hélas « par méconnaissance de son histoire » que lui fut attribué le surnom moqueur de « folle du Cap Méchant ».

Derrière ses prêches décousus et ses gestes excentriques se cachait une femme marquée par des épreuves d'une rare violence.

Élise Collet a en effet traversé l'enfer des violences conjugales pendant plus de quinze ans. Victime de coups et d'humiliations infligés par un conjoint brutal, elle aurait même survécu à un épisode de grande atrocité où elle fut grièvement brûlée.

Malgré ces sévices, elle a toujours tenu bon pour élever ses enfants, assumant tant bien que mal son rôle de mère – puis de grand-mère – avec courage et dignité. « J'aime le monde et je ne fais de tort à personne », aimait-elle répéter, comme pour affirmer sa foi en l'humanité malgré tout. Ces mots simples résument la philosophie d'Élise, qui après tant de souffrances ne souhaitait que répandre un message d'amour universel.

Mais les traumatismes qu'elle portait en elle étaient profonds. La perte de son fils Thierry, décédé il y a quelques années alors qu'il était parti vivre en métropole, est venue ajouter un chagrin indescriptible à sa vie déjà brisée. Ne lui restait alors plus que sa fille, prénommée Gracieuse, pour lui apporter un peu de soutien.

On imagine aisément combien ces drames successifs – coups, brûlures, deuil d'un enfant – ont pu ébranler son équilibre psychologique. Ses prêches enflammés et son obsession à voir le mal partout apparaissent alors comme le reflet de ses propres blessures intérieures.

« Derrière ce visage marqué par le soleil, derrière cette silhouette inoubliable, il y avait une femme qui a traversé bien des épreuves », a rappelé le maire de Saint-Philippe, Olivier Rivière. En partageant sans cesse ce qu'elle portait en elle, peut-être Élise cherchait-elle avant tout à exorciser ses propres démons et à apaiser sa peine.

L'âme de Saint-Philippe s'en est allée

Malgré une vie broyée par la souffrance, Élise Collet conservait un visage empreint de douceur et une bienveillance naturelle qui ont fini par toucher le cœur de la population.

Au fil du temps, le regard porté sur elle a changé : ce que d'aucuns prenaient pour de la folie a été compris par d'autres comme le cri de détresse d'une femme meurtrie.

Les habitants de Saint-Philippe racontent comment ils ont vu en Élise une sorte de conscience du village, toujours prête à interpeller sur le respect du bien et la dénonciation du mal.

« Marie Lyse faisait partie de ce décor vivant, où chaque visage raconte quelque chose de notre histoire. Dorénavant, le Cap Méchant semblera bien silencieux, mais le vent qui souffle sur ses falaises portera toujours un peu de sa voix, de son mystère et de sa douleur », a encore écrit avec émotion le maire Olivier Rivière lors de son hommage officiel.

La nouvelle du décès d'Élise Collet, survenu le 6 janvier 2025 des suites d'une maladie, a bouleversé Saint-Philippe et au-delà. Sa disparition a « choqué de nombreux habitués du site du Cap Méchant », rapportent les médias locaux.

C'est qu'Élise n'était plus simplement une marginale un peu fantasque aux yeux des Réunionnais : elle était devenue « l'âme de Saint-Philippe », dixit un adjoint au maire, la voix singulière qui faisait partie du quotidien de tous.

En apprenant la triste nouvelle, les témoignages de sympathie ont afflué. Chacun y est allé de son souvenir attendri ou de son anecdote, preuve que la vieille dame avait su, à sa manière, toucher les âmes. « Qu'elle repose en paix auprès de son fils Thierry.

Que les souffrances de cette vie laissent place à la sérénité. Elle restera dans nos cœurs comme une âme libre et singulière, une voix qui ne demandait qu'à être entendue », a conclu M. Rivière dans son message d'adieu.

Beaucoup préfèrent désormais retenir d'Élise cette image d'une femme libre, profondément religieuse et humaniste, dont les extravagances cachaient une vérité plus triste. En lieu et place du sobriquet d'antan, c'est un prénom empreint de respect et de tendresse qui revient dans toutes les bouches : Adieu Élise.

Une statue pour honorer sa mémoire et combattre les violences

Quelques semaines après la disparition d'Élise Collet, j'ai lancé l'initiative qui est en train de voir le jour pour lui rendre un hommage pérenne et porteur de sens.

J'ai souvent eu la chance de discuter avec elle, et je l'ai beaucoup photographiée. C'est une femme que j'aimais. J'avais appris à la connaître.

J'avoue qu'elle me faisait un peu peur et qu'elle faisait peur à tout le monde, en voyant le diable partout. Aujourd'hui c'est ma façon aussi de lui demander pardon de n'avoir pas compris qui elle était tout de suite.

Mon idée est de proposer est d'ériger une statue à son effigie sur le site du Cap Méchant, là où elle avait pour habitude de se tenir. Ce monument, qui pourrait être réalisé par un artiste réunionnais, symboliserait la présence bienveillante d'Élise veillant à nouveau sur l'océan et les visiteurs.

Il ne s'agirait pas simplement d'une statue commémorative, mais d'une véritable stèle en faveur de la lutte contre les violences conjugales. En effet, inscrire dans la pierre le visage et le nom d'Élise Collet au Cap Méchant permettrait de rappeler à tous le calvaire qu'elle a enduré en tant que femme battue, et de sensibiliser les passants à la cause des victimes de violences faites aux femmes à la Réunion.

Les générations futures, en découvrant cette statue intrigante au détour du chemin côtier, seront amenées à poser la question : « Qui était Élise Collet ? » – ouvrant ainsi la voie à la transmission de son histoire et d'un message de prévention.

Séduit par cette démarche, le maire Olivier Rivière envisage d'accompagner la stèle d'un aménagement dédié aux familles : une petite aire de jeux pour enfants, qui porterait le nom d'Élise Collet en souvenir de celle qui fut, pour tous les Saint-Philippois, la « granmoune » du Cap Méchant.

L'endroit deviendrait alors un lieu de mémoire et de recueillement, mais aussi de vie et d'espoir, où les rires des enfants côtoieraient le souvenir d'une femme qui n'a cessé de clamer sa vérité. En immortalisant Élise Collet de la sorte, Saint-Philippe et La Réunion tout entière feraient plus que sauvegarder la mémoire d'une figure locale : ils affirment haut et fort que le combat contre les violences faites aux femmes ne doit jamais cesser.

L'histoire d'Élise, aussi douloureuse soit-elle, ne sera pas oubliée. Son visage de survivante veillera sur le Cap Méchant comme un rappel à la compassion et à la vigilance. Et chaque personne qui s'arrêtera un instant devant sa statue entendra, portée par le vent des falaises, l'écho de sa voix autrefois incomprise.

Aujourd'hui enfin, Élise est entendue. Son message – un mélange de souffrance, de foi et d'amour – continuera de vivre parmi nous, invitant chacun à la réflexion et à l'empathie.

Sources : Saint-Philippe, Imaz Press (7 janvier 2025) ; Free Dom (7 janvier 2025) ; Linfo.re (7 janvier 2025) ; Exclusif Réunion (7 janvier 2025) ; Guide Réunion (blog, 7 janvier 2025).