Péambule de Didier Buffet:

À l’occasion du congrès de l’EHA qui s’est tenu à Milan en juin 2025, le Professeur Mohamad Mohty a présenté en anglais pour IACH News une mise au point éclairante sur les avancées majeures dans la prise en charge du myélome multiple. J'ai donc décidé de la traduire en français sous la supervision de l'auteur.

En vingt années d'engagement dans l’industrie pharmaceutique, notamment au sein de Pharmion puis de Celgene, j’ai été le témoin direct de la métamorphose profonde d’une pathologie longtemps redoutée. Le myélome multiple, autrefois perçu comme une sentence sans appel, affichait au début des années 2000 une survie médiane de 3 à 4 ans seulement. Aujourd’hui, grâce aux progrès considérables de la recherche clinique et à l’essor des thérapies innovantes, cette médiane atteint désormais 8 à 11 ans, et peut s’allonger davantage encore chez certains profils de patients.

Il est frappant de constater que, pour une maladie souvent diagnostiquée après 70 ans, ces avancées permettent à un nombre croissant de patients de rejoindre l’espérance de vie de sujets sains, transformant ainsi une affection autrefois létale en une maladie chronique maîtrisée.

Ce bond en avant n’aurait pas été possible sans l’engagement continu de la communauté scientifique française, et tout particulièrement de l’Intergroupe Francophone du Myélome (IFM), moteur discret mais décisif de cette évolution.

En tant que témoin de cette révolution silencieuse, je tiens à saluer ici le travail et l’héritage de figures majeures qui ont porté ces progrès sur leurs épaules : Michel AttalThierry FaconCyril HulinDenis CaillotPhilippe MoreauClaire MathiotJean‑Luc HarousseauJean‑Paul FermandHervé Avet‑Loiseau, et tant d’autres encore.

Aujourd’hui, c’est avec une joie particulière que je constate la reconnaissance grandissante de la professeure Aurore Perrot, que j’ai connue à ses débuts jeune cheffe à Nancy et qui s’impose désormais comme une des expertes majeures de la discipline en France.

À celles et ceux qui souhaitent comprendre, au-delà des courbes de survie, ce que signifie vivre et lutter avec un myélome multiple, je recommande la lecture du livre bouleversant et nécessaire du Pr Mohamad Mohty : Mauvais sang (Robert Laffont, 2023). Il y raconte, en dialogue avec sa patiente Mme Élisabeth Schemla, une trajectoire intime entre 2017 et 2023. Ce texte n’est pas un simple témoignage, mais le colloque singulier entre un médecin et sa patiente, une conversation continue sur les choix thérapeutiques, les doutes, les espoirs, et cette exigence de justesse dans l’évaluation du rapport bénéfice/risque, car chaque patient à son propre visage et chaque myélome est unique.

Ayant moi-même affronté le cancer, je mesure profondément ce que je dois à mon médecin, à l’intelligence collective des chercheurs et aux progrès incessants de la science. En ces temps troublés marqués par la guerre, les crises écologiques, politiques et sociales, il est vital de rappeler que tout ne sombre pas. En 2025, de nombreux cancers sont guéris ou rendus chroniques, et il faut le dire haut et fort. Il est des batailles que l’humanité continue de gagner, et des vies que l’on continue de sauver, pendant que d’autres s’évertuent à les briser. A une période où on discute d'euthanasie, il est important de rappeler que la vocation première du soignants dans son sens très large est le choix de la vie jusqu'au bout.

Alors, à vous médecinssoignantschercheurspatientsfamilles, pour votre courage, votre lucidité et votre persévérance : merci. Merci de choisir chaque jour la vie.

Le congrès EHA 2025 et son contexte

Par le Pr Mohamad Mohty

Le 30e congrès de l’Association européenne d’hématologie (EHA) s’est tenu à Milan en juin 2025, rassemblant la communauté hématologique internationale autour des avancées majeures en hématologie. Le Pr Mohamad Mohty (Sorbonne Université et Hôpital Saint-Antoine, Paris), expert en hématologie, est intervenu pour faire le point sur les dernières avancées dans le traitement du myélome multiple. Son intervention, à la fois didactique et passionnée, a reflété l’ambiance dynamique du congrès : un optimisme prudent fondé sur des résultats cliniques prometteurs, allié à une rigueur scientifique affirmée. Il a passé en revue les faits marquants récents – essais cliniques novateurs, nouvelles recommandations et innovations thérapeutiques – en gardant un ton neutre et factuel.

Données du protocole MIDAS et rôle de la MRD

Objectifs de l’essai MIDAS

L’essai MIDAS, de phase III, conduit en France et en Belgique, évalue une stratégie adaptative fondée sur la MRD (maladie résiduelle minimale) chez des patients nouvellement diagnostiqués, éligibles à la greffe. Tous reçoivent une induction par quadrithérapie (Isa-KRd), puis sont randomisés en fonction de leur statut MRD :

  • Les patients MRD-négatifs (10^-5) poursuivent avec ou sans autogreffe.
  • Les patients MRD-positifs sont orientés vers greffe tandem ou greffe unique avec traitements additionnels.

Résultats principaux

Aucun bénéfice significatif en termes de MRD négative à un seuil plus profond (10^-6) n’a été observé :

  • MRD 10^-6 : 86 % avec greffe vs 84 % sans greffe (chez les MRD-négatifs post-induction).
  • MRD 10^-6 : 32 % avec tandem vs 40 % avec greffe unique (chez les MRD-positifs post-induction).

Implications cliniques

Ces données confortent l’idée d’une désescalade possible du traitement en cas de réponse profonde précoce, et remettent en question la nécessité systématique d’autogreffe ou de greffe tandem. La MRD devient un outil décisionnel essentiel en 2025. Les données de la survie sans progression sont attendues et permettront de conclure définitivement.

Recommandations en rechute : vers une prise en charge individualisée

Lignes directrices EMN/EHA (Terpos et al. 2025 In Press)

Les recommandations actuelles soulignent :

  • La nécessité de réévaluer le risque à chaque rechute (cytogénétique, MRD).
  • L’importance de tenir compte de l’exposition antérieure (IMiD, IP, anti-CD38).
  • L’intégration rapide des nouvelles immunothérapies (CAR-T, bi-spécifiques) en cas de réfractaire triple classe.

Principes cliniques

Changer de classe thérapeutique pour surmonter les résistances. Adapter l’algorithme thérapeutique en fonction du profil du patient et de son historique de traitement.

Nouveautés pour les patients non éligibles à la greffe

L’association EDR (elranatamab + daratumumab + lénalidomide)

Triplette 100 % immunothérapeutique sans chimiothérapie intensive. Données du MagnetisMM-6 (phase III) :

  • ORR > 97 %, VGPR+ chez 94 %.
  • Réponse rapide (médiane : 1,5 mois).
  • Toxicités gérables (CRS, neutropénie, anémie).

Vers un changement de paradigme

Cette combinaison pourrait établir un nouveau standard pour les sujets âgés non greffables, avec un essai comparatif en cours (EDR vs Dara-Rd).

 

Immunothérapies innovantes : CAR-T et anticorps bi et tri-spécifiques

CAR-T cells

  • Données matures de CARTITUDE-1 (cilta-cel) : rémissions prolongées après 5 ans de suivi.
  • Nouvelles générations CAR-T : anitocabtagene autoleucel (anito-cel), MRD-négatifs chez 89 % des patients et efficacité dans les localisations extra-médullaires.
  • Perspectives : ciblage de nouvelles molécules (GPRC5D, FcRH5), CAR-T allogéniques.

Anticorps bispécifiques

  • Teclistamab (BCMAxCD3), Talquetamab (GPRC5DxCD3), Elranatamab, Linvoseltamab tous approuvés.
  • Réponses solides (60-70 %) chez patients triple-class réfractaires.

Anticorps trispécifiques

  • ISB 2001 : ciblant BCMA + CD38 + CD3, réponses préliminaires 83 %.
  • Combinations innovantes (talquetamab + teclistamab dans l’étude RedirecTT-1).

 

Avancée technologique : OBDS pour isatuximab

Dispositif OBDS

  • Permet l’administration SC d’isatuximab via injecteur portable.
  • Etude IRAKLIA : non-infériorité confirmée versus la forme IV.
  • Réduction du temps de soin, satisfaction patient accrue.

Retombées cliniques

  • Allégement logistique pour les centres de soins.

 

Nouvelle définition du haut risque selon l’IMS (Avet-Loiseau et al., J Clin Oncol 2025)

Critères génomiques retenus

  • del(17p) ≥20 % ou mutation TP53.
  • Translocations chr14 + anomalie 1q.
  • del(1p32) ou del(1p32) + gain 1q.
  • β2-microglobuline ≥ 5,5 mg/L (hors IR).

Implications cliniques

  • ∼20 % des patients NDMM sont à haut risque d’emblée.
  • Stratégies adaptées : essais ciblés.
  • Nécessité de réévaluation à chaque rechute. Selon les mots du Pr Mohty, « la définition claire et standardisée du myélome à haut risque est une étape critique ».

Conclusion générale

L’ensemble des données présentées à l’EHA 2025 illustre les avancées rapides vers une médecine de précision, plus adaptée au profil biologique et clinique de chaque patient. L’optimisme du congrès repose sur des bases solides : des stratégies thérapeutiques innovantes, une meilleure stratification du risque, et l’ambition croissante d’obtenir des rémissions profondes, voire durables, y compris en situation de myélome réfractaire.